Nombre total de pages vues

samedi 28 avril 2012

Le Lais, de François Villon...


Ma version actualisée du Lais de François Villon. Le Testament suit. Je fais les choses dans le désordre, comme ça vient. En espérant que ça puisse permettre à certains d'entrer plus facilement dans l'univers de Villon.

Fichier:Francois Villon 1489.jpg

                  LE LAIS

                       I

En mil quatr cent cinquante six,
Moi, François Villon, écolier,
Considérant, de sens rassis,
Le mors aux dents, franc au collier,
Qu'on doit ses oeuvr' examiner
Comme Végèce le raconte,
Sage Romain, grand conseiller,
Ou on s'expose à des mécomptes...

                        II



En ce temps que j'ai dit devant,
Sur le Noël, morte saison,
Que les loups s'engraissent de vent
Et qu'on se tient en sa maison,
Du fait du froid, près du tison,
J'ai entrepris de fair' sauter
La très amoureuse prison
Qui prit mon coeur pour le briser.

                        III

Je le fis de telle façon,
Voyant celle devant mes yeux
Qui provoquait ma destruction,
Sans qu'elle-même en tire un mieux ;
J'en pleure et je m'en plains aux cieux,
Et requérant d'elle vengeance
Aux dieux des pauvres amoureux
Auxquels je faisais allégeance.

                        IV

Et si j'ai pris en ma faveur
Ces doux regards et beaux semblants,
J'en ai senti l'âcre saveur,
Me transperçant jusques aux flancs
Ils vont vers moi ses pieds bien blancs
Et font défaut au grand besoin.
Il me faut faire d'autres plans
Et frapper dans un autre coin.

                       V

Les yeux de celle qui m'a pris
Et m'a été félonne et dure :
Sans que de faute j'aie commis,
Veulent - ordonnent - que j'endure
La mort, et que plus je ne dure ;
Mon seul secours serait de fuir.
Ma vie se rompt par la soudure,
Sans mes piteux regrets ouïr !

                        VI

Pour échapper à ces dangers,
Le mieux est, je crois, de partir.
Adieu ! Je m'en vais à Angers :
Puisqu'elle ne veut fair sentir
Sa grâce, ni la répartir,
Par elle je meurs, membres sains ;
En bref, je suis amant martyr
Du nombre des amoureux saints.

                        VII

Là, bien que le départ me soit
Dur, il faut bien que je m'éloigne :
Comme mon pauvre moi conçoit
Qu'elle soit d'autrui la compagne,
Jamais hareng saur de Boulogne
N'en fut plus altéré d'humeur ;
C'est pour moi piteuse besogne :
Dieu en veuille ouïr ma clameur !

                        VIII

Je vais partir, puisqu'il le faut,
De mon retour ne suis certain,
- Je ne suis homme sans défaut
Pas plus qu'un autre acier, étain :
Vivre aux humains est incertain,
Après la mort, n'y a relais ;
Je m'en vais en pays lointain -
Si établis ce présent lais.

                        IX

Premièrement, au nom du Père,
Du Fils et puis du Saint Esprit,
Et de sa très glorieuse Mère,
Par qui - grâce ! - rien ne périt,
Je laisse, de par Dieu, mon bruit
À maître Guillaume Villon,
Qui en l'honneur de son nom bruit,
Mes tentes et mon pavillon.

                        X

De même, à celle que j'ai dit,
Qui m'a si durement chassé
Que je suis de joie interdit
Et de tout mes plaisirs privé,
Je laisse mon coeur momifié,
Pâle, piteux, mort et transi :
Elle m'a ce mal procuré,
Mais Dieu lui en fasse merci !

                        XI

De même, à maître Ythier Marchant,
Auquel je me sens très tenu,
Je laisse épée d'acier tranchant
Et à maître Jean le Cornu,
Qui est en gage détenu
Pour un dépôt, sept sous comptant ;
Je veux, selon l'acte tenu,
Qu'on leur livre en le rachetant.

                        XII

De mêm, je laisse à Saint Amant
Le Cheval Blanc avec la Mule
Et à Blaru mon diamant
Et l'Âne rayé qui recule ;
Je laisse la loi qui stipule
Omnis utriusque sexus,
Contre la Carméliste bulle
Aux bons curés, pour mettre en sus.

                        XIII

Et à maître Robert Vallée
Pauvre curé en Parlement
Qui confondrait monts et vallées,
J'ordonne principalement
Qu'on lui donne rapidement
Mes braies, étant aux Trumillières,
Pour coiffer plus honnêtement
Son amie Jeanne de Millières.

                        XIV

Pour ce qui est de lieu honnête,
Faut qu'il soit mieux récompensé,
Car le Saint Esprit l'admoneste,
Vu qu'il est fou et insensé ;
Pour cela, j'ai beaucoup pensé,
Puisqu'il est fin comme une armoire,
A recouvrer sur Maupensé,
Qu'on lui cède l'Art de Mémoire.

                        XV

De même, j'assure la vie
Du dessusdit maître Robert,
(Pour Dieu ! N'y ayez point d'envie !) :
Mes parents, vendez mon haubert,
Et que l'argent, dans sa grand part,
Soit employé d'ici à Pâques,
À acheter à ce poupart
Un bureau sur la rue Saint-Jacques.

                        XVI

De même, je donne en pur don
Mes gants et ma cape de soie
À mon ami Jacques Cardon,
Le gland aussi d'un chêne en bois,
Et tous les jours un gros poulet
Ainsi qu'une oie de haute graisse,
Dix muids de vin blanc comme craie,
Et deux procès, pour qu'il n'engraisse.

                        XVII

De mêm, je laisse à ce jeune homme,
Regnier de Montigny, trois chiens ;
Aussi à Jean Raguier la somme
De cent francs, pris sur tous mes biens.
Mais quoi ? Je n'y comprends en riens
Ce que je pourrais acquérir :
L'on ne doit trop prendre des siens,
Ni trop ses bons amis quérir.

                        XVIII

De même, au Seigneur de Grigny
Laisse la garde de Nijon,
Et six chiens plus qu'à Montigny,
Bicêtre, château et donjon ;
Et à ce malotru démon,
Moutonnier, qui lui fait procès,
Laisse trois coups de mon bâton,
Et coucher dans les fers en paix.

                        XIX

De même, au Chevalier du Guet
Le Heaüme lui établis ;
Et aux piétons qui font le guet
Tâtonnant tard dans la nuit,
Je leur laisse un bien mal acquis :
La Lanterne à la Pierre au Lait.
Voire, mais j'aurai les Trois Lys,
S'ils me mènent en Châtelet.

                        XX

Et à maître Jacques Raguier
Je laisse l'Abreuvoir Popin,
Pëches, poussins au blanc manger,
Toujours le choix d'un bon lopin,
Le trou de la Pomme de Pin,
Clos et couvert, chauffant la plante
De ses pieds de dominicain,
Et qui voudra planter, si plante.

                        XXI

De même, à maître Jean Mautaint
Et maître Pierre Basanier
Le gré du seigneur qui atteint
Troubles, forfaits sans épargner ;
Et à mon procureur Fournier
Bonnets courts, bottes renforcées
Taillées chez mon vieux cordonnier
À porter pendant les gelées.

                        XXII

De même, à Jean Trouvé, boucher,
Laisse le Mouton franc et tendre,
Un martinet pour émoucher
Le Boeuf Couronné qu'on veut vendre,
Ou la Vache qu'on ne peut prendre :
Le vilain qui la charge au cou,
S'il ne la rend, qu'on puist le pendre
Ou l'assommer d'un bon gros coup !

                        XXIII

De même, à Perrenet Marchant,
Qu'on dit le Bâtard de la Barre,
Parce qu'il est un bon marchand
Laisse paille de part en part
Qu'il mettra par dessus sa terre
Pour faire l'amoureux métier,
Ou il mettra sa vie en terre
Car il ne sait d'autre métier.

                        XXIV

De même, au Loup et à Cholet
Je laisse à la fois un canard
Pris sur les murs, comme on faisait,
Derrière les fossés, sur le tard ;
Et à chacun grand manteau noir
De cordelier jusques aux pieds,
Bûche, charbon, des pois au lard,
Et mes guêtres sans avant-pieds.

                        XXV

Derechef, je laisse, en pitié,
À trois petits enfants tous nus
Nommés en ce présent traité
Pauvres orphelins mal pourvus,
Tous déchaussés, tous dépourvus,
Et dénués comme le ver ;
J'ordonne qu'ils seront pourvus
Au moins pour passer cet hiver :

                        XXVI

Premièrement Colin Laurens,
Girard Gossouin et Jean Marceau,
Privés de biens et de parents,
Qui ne valent l'anse d'un seau,
Chacun de mes biens un morceau,
Ou quatre sous, s'ils l'aiment mieux.
Ils mangeront maint bon morceau,
Les enfants, quand je serai vieux !

                        XXVII

De même, ma nomination
Que j'ai de l'Université
Je laisse par renonciation
Pour préserver d'adversité
Les pauvres clercs de la cité
Figurant dans ce contenu :
Charité m'y a incité,
Et Nature, les voyant nus.

                        XXVIII

C'est maître Guillaume Cotin
Et maître Thibaut de Vitry
Deux pauvres clercs parlant latin,
Humbles, bien chantant au lutrin :
Paisibles enfants, sans soucis,
Je veux qu'ils puissent recevoir
Le cens sur la maison Gueuldry
En attendant de mieux avoir.

                        XIX

De même et j'adjoins à la crosse
Celle de la rue Saint Anselme
Où au billard on joue et crosse,
Et tous les jours, plein pot de Seine ;
Aux pigeons qui sont à la peine
Enserrés sous trappe volière,
Mon beau miroir de taill' moyenne,
Et la grâce de la geôlière.

                        XXX

De mêm, je laisse aux hôpitaux
Mon vieux lit tissé d'araignées ;
Et aux dormants sous les étaux
Chacun sur l'œil une volée,
Trembler à face renfrognée,
Maigres, velus et morfondus,
Chausses courtes, robe rognée,
Gelés, meurtris et tout fondus.

                        XXXI

De mêm, je laisse à mon barbier
Les rognures de mes cheveux,
Pleinement et sans l'empêcher ;
Aux savetiers mes souliers vieux
Et au fripier mes habits pieux
Que quand du tout je les délaisse ;
Pour moins qu'ils ne coûtèrent neufs,
Charitablement je leur laisse.

                        XXXII

De même, je laisse aux Mendiants,
Aux Filles-Dieu et aux Béguines,
Savoureux morceaux et friands,
Chapons, flans, et grasses gelines,
Et puis prêcher les Quinzes Signes,
Et ramasser pain à deux mains.
Carmes chevauchent nos voisines,
Et tout cela, c'est pour le moins.

                        XXXIII

De mêm, je laiss' le Mortier d'or,
À Jean, l'épicier, de la Garde ;
Une potence de Saint-Mor
Pour faire un pilon à moutarde.
À celui qui fit l'avant-garde
Pour fair' sur moi graves exploits,
De par moi saint Antoine l'arde !
Il n'aura rien d'autre de moi.

                        XXXIV

De mêm, je laisse à Merebeuf
Et à Nicolas de Louviers
À chacun l'écaille d'un oeuf
Pleine de francs et d'écus vieux.
Quant au concierge de Gouvieux,
Pierre Rousseville, j'ordonne,
Pour lui donner encores mieux,
Écus tels que Prince les donne.

                        XXXV

Finalement, en écrivant,
Ce soir, tout seul, et d'humeur bonne,
Dictant ce lais et recopiant,
J'entends la cloche de Sorbonne,
Qui toujours à neuf heures sonne
L'Angélus que l'ange prédit ;
Si suspendis et mis en borne
Pour prier comme le coeur dit.

                        XXXVI

Ce faisant je m’évanouissais,
Non pas par force de vin boire,
Mon esprit était comme lié ;
Lors je sentis dame Mémoire
Répondre et mettre en son armoire
Les facultés dépendant d'elle,
Opiniative fausse et voire,
Et autres intellectuelles,

                        XXXVII

Mes facultés estimatives
Par lesquelles l'intuition vient,
Similative, formative,
Desquelles souvent il advient
Que, par leur trouble, homme devient
Fou et lunatique parfois :
Je l'ai lu, si bien m'en souvient,
En Aristote aucunes fois.

                        XXXVIII

Tout mon sensitif s'éveilla
Et excita ma Fantaisie
Qui tous organes réveilla,
Tint ma raison et mon envie
En suspens et comme amortie
Par l'oppression de l'inconscience
Qui en moi s'était épartie
Pour montrer des sens l'alliance.

                    XXXIX

Après que j'eus quelque repos,
Quand ma tête fut démêlée,
Je voulus finir mon propos ;
Mais tout' mon encre était gelée
Et mon [beau] cierge était soufflé ;
De feu je n'eusse pu trouver.
Si m'endormis, tout emmouflé
Et ne pus autrement cesser.

                       XL

Fait au temps de ladite date
Par le bon renommé Villon,
Qui ne mange figue ni datte,
Sec et noir comme un goupillon,
Il n'a tente ni pavillon
Qu'il n'ait laissé à ses amis,
Et n'a rien qu'un peu de billon
Qui sera bientôt à fin mis.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire